Femme injuste et crédule! (et remarquez que j’ai le plein droit de vous nommer ainsi, chère cousine). Vous avez crû aux paroles et à la lettre d’une jeune fille sans les analyser; Annette dit qu’elle n’a jamais écrit que j’avais une histoire, mais qu’on ne m’a pas compté les années que j’ai passées à Moscou, comme à tant d’autres; car il y a une réforme dans toutes les universités, et je crains qu’Alexis n’en souffre aussi, puisqu’on ajoute une année aux trois insupportables.
– Vous devez déjà savoir, notre dame, que j’entre à l’école des guardes; ce qui me privera malheureusement du plaisir de vous voir bientôt. – Si vous pouviez deviner tout le chagrin que cela me fait, vous m’auriez plaint; – ne grondez donc plus, et consolez moi, si vous avez un cœur. –
Je ne puis concevoir ce que vous voulez dire par peser les paroles, je ne me rappelle pas vous avoir écrit quelque chose de semblable. Au surplus je vous remercie de m’avoir grondé, cela me servira pour l’avenir; et si vous venez à Pétersbourg j’espère me venger entièrement, – et par-dessus le marché – à coups de sabre – et point de quartier, entendez vous! – mais que cela ne vous effraye pas; venez toujours, et amenez avec vous une suite nombreuse; et mademoiselle Sophie, à laquelle je n’écris pas, parce que je boude contre elle; elle m’a promis de m’écrire en arrivant de Voronège – une longue lettre, et je ne m’aperçois que de la longueur du temps – qui remplace la lettre.
– Et vous, chère cousine, vous m’accusez de la même chose! – et pourtant je vous ai écrit deux lettres après monsieur Paul Evreïnoff. Mais comme elles étaient adressées dans la maison Stolypine à Moscou, je suis sûr que le Léthé les a englouties, ou que la femme d’un domestique entortilla des chandelles avec mes tendres épîtres.
– Donc, je vous attends cet hiver; point de réponses évasives; vous devez venir; un beau projet ne doit pas être ainsi abandonné, la fleur ne doit pas se faner sur sa tige, et cetera.
En attendant je vous dis adieu, car je n’ai plus rien à vous communiquer d’intéressant; je me prépare pour l’examen, et dans une semaine, avec l’aide de dieu, je serai militaire; encore: vous attribuez trop à l’eau de la Néva; elle est un très bon purgatif, mais je ne lui connais point d’autre qualité; apparemment que vous avez oublié mes galanteries passées, et que vous n’êtes que pour le présent et le futur, qui ne manquera pas de se présenter à vous par la première occasion; adieu donc, chère amie, et mettez tous vos soins à me trouver une future; il faut qu’elle ressemble à Dachinka, mais qu’elle n’aie pas comme elle un gros ventre, car il n’y aurait plus de symétrie avec moi, comme vous savez; ou comme vous ne savez pas, car je suis devenu fin comme une allumette.
Je baise vos mains
M. Lerma.
P. S. Mes compliments aux tantes. –
А. М. Верещагиной (Конец октября 1832 г. Из Петербурга в Москву)
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